dimanche 12 juillet 2009

Au rayon Warhol


“Quand Billy Name a quitté la Factory, sa mère l’a placé en maison de repos à Graymore ou Dieu sait où. Là-bas, on lui a demandé de repeindre une barrière. Il s’est mis au boulot mais pour s’arrêter en plein milieu, faute de savoir si la barrière en question était d’accord ou non pour être repeinte. (extrait de Edie)


Andy Warhol n’en finissait pas de regarder les gens, et on n’en finit pas de regarder Andy Warhol regarder les gens. 13 Most Beautiful Songs for Andy Warhol’s Screen Tests, le ciné-concert de Dean Wareham et Britta Phillips permet d’explorer sur grand écran cette relation trouble entre la caméra à la fois intrusive et passive de Warhol et ses sujets. Les uns sont défiants, d’autres défaits ; certains charment, dominent, s’occupent. D’autres s’ennuient. Certains se désagrègent. On reconnaît les visages encore poupins de Lou Reed, Nico ou Dennis Hopper. Mais on découvre aussi des créatures éphémères, les superstars de la Factory : Baby Jane Holzer, Freddy Herko, Richard Rheem…



Il a fallu dix ans à Jean Stein pour écrire la biographie de l’une d’entre elles, Edie Sedgwick, sans doute la plus emblématique des égéries warholiennes. Composé uniquement de centaines d’interviews juxtaposées, ce récit à plusieurs voix retrace le parcours d’Edie, comète à éclipses issue d’une richissime famille WASP de Nouvelle-Angleterre. Fantasque, insupportable, irrésistible, elle fut la plus excentrique des débutantes, la coqueluche du tout-New York, la reine de la Factory, alternant séjours en hôpitaux psychiatriques et hypothétiques sevrages avant de mourir d’une overdose à 28 ans.

Mais s’il faut absolument lire Edie, somme passionnante de 450 pages qui se dévorent en une nuit, c’est qu’on a rarement vu une biographie cavaler aussi vite et aussi loin au-delà de son objet. L’histoire de la pauvre petite fille riche devient la trame d’une fresque truculente, tourbillonnante et désenchantée, que Norman Mailer décrit comme “l’un des rares livres consacrés aux années 60 qui sache en rendre la fièvre et les passions, des plus généreuses aux plus délirantes, des hallucinations flamboyantes aux petits matins délavés.”
Autour de la gracile Edie “avec son brouillard, ses amphétamines et ses perles” apparaissent toutes sortes d’existences et de trajectoires, de carrières ascendantes ou d’accidents fatals. Au fil des interviews, on croise Billy Name, l’homme qui inventa les murs argentés de la Factory, où “il vécut quatre ans dans des chiottes peintes en noir”. Ou encore Paul America : “Pas un brin de cervelle. Une beauté parfaitement insipide. Une bête de plaisir, n’existant que pour satisfaire autrui et y réussissant parfaitement.”
On y apprend aussi au passage que c’est à la Factory que fut inventé le mot “superstar” – “un terme jamais utilisé auparavant, sinon dans une obscure revue de cinéma des années 30.” On y découvre enfin un portrait assez terrifiant d’Andy Warhol : allergique à tout contact physique, roitelet arriviste et manipulateur. Truman Capote l’exécute en une phrase : “Des désespérés et des paumés viennent à lui, dans l’espoir de trouver en lui leur salut, et Andy ne donne rien en retour, car il n’a rien à donner.”


Une sentence contredite par Songs for Drella, le concept-album composé par Lou Reed et John Cale deux ans après la mort de Warhol. Réunis pour la première fois depuis 1972, les deux membres du Velvet Underground y ressuscitent l’esprit de la Factory à travers une série de vignettes, retraçant la vie de Warhol depuis son adolescence à Pittsburg (“bad skin, bad eyes, gay and fatty”) jusqu’à son crépuscule. Et s’ils en profitent pour règler quelques comptes avec leur ancien mentor, ils n’en composent pas moins un hommage tendre mais sans complaisance à “Drella” – contraction de “Dracula” et de “Cinderella”. Ce surnom donné à Warhol fait en deux syllabes la somme de ses contradictions : à la fois bourreau et victime, midinette et vampire.


Edie de Jean Stein et George Plimpton, Christian Bourgois éditeur, 1987.
Songs for Drella de Lou Reed et John Cale, Sire Records, 1990.
13 Most Beautiful Songs for Andy Warhol’s Screen Tests de Dean Wareham et Britta Phillips, jusqu’au 17 juillet à l’église Saint-Eustache.


(Photos : Warhol © Billy Name/Edie Sedgwick, 1966 © Stepthen Shore /DR)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire