vendredi 17 juillet 2009

Calme et précipitations

feat. Special Bonus :
THE PHUPHUMA LOVE MINUS PALAIS ROYAL IMPROMPTU RAIN DANCE


Durant la nuit de jeudi à vendredi, un violent orage, accompagné de vent et de grêlons, s’est abattu vers 22h30 sur l’Île-de-France. Dans le XIVe arrondissement de Paris, des arbres étaient couchés en travers de certaines avenues. Des poteaux sont tombés et des voitures ont été endommagées, selon un journaliste de l’Associated Press présent sur place.”

À 22h, dans la cour d’Orléans, on s’apprête à voir le spectacle de Robyn Orlin “Walking next to our shoes... intoxicated by strawberries and cream, we enter continents without knocking...”, qui, pour sa première, fait salle est comble. Il fait lourd, le temps est à l’orage. Quand la troupe des Phuphuma Love Minus investit le plateau, on sent tomber quelques gouttes. Quand la chanteuse Dudu Yende arrive sur scène portant un grimaçant masque vert, de vifs éclairs blancs flashent sur la scène. On voudrait croire à un effet de lumière hyper perfectionné, mais c’est malheureusement bien du ciel que ça vient. Les gouttes redoublent. Dans les gradins, on se couvre, on s’agite, ou alors on opte pour le stoïcisme, conquis par l’énergie inentamable des dix chanteurs-danseurs…
Pendant ce temps-là, en coulisses, on évalue dare-dare la situation. La majorité des spectacles de Paris quartier d’été se joue en plein air, et en cas de pluie ou d’orage, le processus est à la fois simple et compliqué. Un système éprouvé, élaboré au fil d’années de festival. Chaque soir, par roulement, l’un des cadres du festival est responsable du site. Et si son choix est fait en concertation avec les autres membres de l’équipe, c’est lui qui évalue les différents paramètres et prend au final la décision d’interrompre, d’arrêter ou de poursuivre. Ce jeudi, alors que la pluie tombe sur le Palais Royal, c’est Isabelle Frank, chargée de production, qui est responsable. Pendant qu’on distribue encore au public des ponchos imperméables, elle annonce l’annulation de la représentation.



Dans un étrange défilé de ponchos prophilactiques, le public évacue lentement les gradins pour s’abriter sous les colonnes. La pluie se calme, s’arrête même un moment.

Et deux minutes après, c’est le déluge. Des grêlons gros comme des poings s’abattent sur le sol, des rafales de vent font vaciller les panneaux sur la scène. En haut du gradin, les techniciens s’accrochent aux poteaux pour retenir la légère tente de toile qui abrite la régie.








































Un quart d’heure plus tard, le Palais Royal est vide et le calme est revenu. Sur plateau, on s’affaire à coup de raclette pour écoper les trombes d’eau tombées sur la scène. Il va falloir démonter, sécher, en espérant qu’il n’y ait pas de trop de dégâts.
Les chanteurs, déçus, sont rentrés dans leur loge. On avait prévu un pot pour la première, les bouteilles et les victuailles restent en plan.
Encore trempée, Isabelle Frank (ci-desssous) reprend son souffle :“Fred [Vannieuwenhuyse – directeur technique] m’avait dit que si ça commençait, ça ne s’arrêterait pas. Et j’ai senti les gouttes s’épaissir.” Au fait, pourquoi est-ce elle qui a décidé d’annuler le spectacle – et non pas Patrice Martinet, directeur du festival, ou Catherine Laugier, co-directrice, pourtant tous deux présents ce soir-là ? “Parce qu’un directeur n’est pas nécessairement toujours la personne la plus fiable, explique Patrice Martinet. D’abord parce qu’il pense à sa recette ! Chaque partie à quelque chose à défendre, voit les choses de son point de vue. C’est pour ça qu’on occupe cette fonction à tour de rôle. Si j’avais été en charge ce soir, je n’aurais peut-être pas pris la bonne décision. Je n’aurais sans doute pas annulé tout de suite, et j’aurais eu tort. Isabelle a fait exactement ce qu’il fallait au moment où il le fallait : si le public était sorti cinq minutes plus tard, on aurait pu avoir des accidents.”
La pluie s’est arrêtée. Robyn Orlin attend au téléphone des nouvelles de Denis Hutchinson, son directeur de tournée, qui a reçu un grêlon sur l’œil et qu’on a conduit à l’hôpital des Quinze-Vingt. On boit quand même un verre. Même si ce genre de galère contribue à souder une équipe, c’est un peu triste, pour un soir de première, une première qui n’a pas eu lieu.


Dans un coin se prennent les décisions : rajouter une représentation dimanche, tenter de recaser les spectateurs qui voudraient venir à d’autres représentations – pas gagné puisque les billets sont presque tous déjà vendus et qu’on n’est pas sûrs que le temps soit vraiment meilleur demain.

(De g. à d. Catherine Laugier, Patrice Martinet, Sabine Camerin, directrice des relations publiques, Isabelle Frank)

On en est là quand la troupe du spectacle sort de la loge en chantant. Derrière la scène humide où on continue de sécher le plateau, ils chantent et dansent pour conjurer la pluie – et pour offrir quand même un concert… à retrouver en un clic *** SPECIAL BONUS **** THE PHUPHUMA LOVE MINUS PALAIS ROYAL IMPROMPTU RAIN DANCE

dimanche 12 juillet 2009

Au rayon Warhol


“Quand Billy Name a quitté la Factory, sa mère l’a placé en maison de repos à Graymore ou Dieu sait où. Là-bas, on lui a demandé de repeindre une barrière. Il s’est mis au boulot mais pour s’arrêter en plein milieu, faute de savoir si la barrière en question était d’accord ou non pour être repeinte. (extrait de Edie)


Andy Warhol n’en finissait pas de regarder les gens, et on n’en finit pas de regarder Andy Warhol regarder les gens. 13 Most Beautiful Songs for Andy Warhol’s Screen Tests, le ciné-concert de Dean Wareham et Britta Phillips permet d’explorer sur grand écran cette relation trouble entre la caméra à la fois intrusive et passive de Warhol et ses sujets. Les uns sont défiants, d’autres défaits ; certains charment, dominent, s’occupent. D’autres s’ennuient. Certains se désagrègent. On reconnaît les visages encore poupins de Lou Reed, Nico ou Dennis Hopper. Mais on découvre aussi des créatures éphémères, les superstars de la Factory : Baby Jane Holzer, Freddy Herko, Richard Rheem…



Il a fallu dix ans à Jean Stein pour écrire la biographie de l’une d’entre elles, Edie Sedgwick, sans doute la plus emblématique des égéries warholiennes. Composé uniquement de centaines d’interviews juxtaposées, ce récit à plusieurs voix retrace le parcours d’Edie, comète à éclipses issue d’une richissime famille WASP de Nouvelle-Angleterre. Fantasque, insupportable, irrésistible, elle fut la plus excentrique des débutantes, la coqueluche du tout-New York, la reine de la Factory, alternant séjours en hôpitaux psychiatriques et hypothétiques sevrages avant de mourir d’une overdose à 28 ans.

Mais s’il faut absolument lire Edie, somme passionnante de 450 pages qui se dévorent en une nuit, c’est qu’on a rarement vu une biographie cavaler aussi vite et aussi loin au-delà de son objet. L’histoire de la pauvre petite fille riche devient la trame d’une fresque truculente, tourbillonnante et désenchantée, que Norman Mailer décrit comme “l’un des rares livres consacrés aux années 60 qui sache en rendre la fièvre et les passions, des plus généreuses aux plus délirantes, des hallucinations flamboyantes aux petits matins délavés.”
Autour de la gracile Edie “avec son brouillard, ses amphétamines et ses perles” apparaissent toutes sortes d’existences et de trajectoires, de carrières ascendantes ou d’accidents fatals. Au fil des interviews, on croise Billy Name, l’homme qui inventa les murs argentés de la Factory, où “il vécut quatre ans dans des chiottes peintes en noir”. Ou encore Paul America : “Pas un brin de cervelle. Une beauté parfaitement insipide. Une bête de plaisir, n’existant que pour satisfaire autrui et y réussissant parfaitement.”
On y apprend aussi au passage que c’est à la Factory que fut inventé le mot “superstar” – “un terme jamais utilisé auparavant, sinon dans une obscure revue de cinéma des années 30.” On y découvre enfin un portrait assez terrifiant d’Andy Warhol : allergique à tout contact physique, roitelet arriviste et manipulateur. Truman Capote l’exécute en une phrase : “Des désespérés et des paumés viennent à lui, dans l’espoir de trouver en lui leur salut, et Andy ne donne rien en retour, car il n’a rien à donner.”


Une sentence contredite par Songs for Drella, le concept-album composé par Lou Reed et John Cale deux ans après la mort de Warhol. Réunis pour la première fois depuis 1972, les deux membres du Velvet Underground y ressuscitent l’esprit de la Factory à travers une série de vignettes, retraçant la vie de Warhol depuis son adolescence à Pittsburg (“bad skin, bad eyes, gay and fatty”) jusqu’à son crépuscule. Et s’ils en profitent pour règler quelques comptes avec leur ancien mentor, ils n’en composent pas moins un hommage tendre mais sans complaisance à “Drella” – contraction de “Dracula” et de “Cinderella”. Ce surnom donné à Warhol fait en deux syllabes la somme de ses contradictions : à la fois bourreau et victime, midinette et vampire.


Edie de Jean Stein et George Plimpton, Christian Bourgois éditeur, 1987.
Songs for Drella de Lou Reed et John Cale, Sire Records, 1990.
13 Most Beautiful Songs for Andy Warhol’s Screen Tests de Dean Wareham et Britta Phillips, jusqu’au 17 juillet à l’église Saint-Eustache.


(Photos : Warhol © Billy Name/Edie Sedgwick, 1966 © Stepthen Shore /DR)

vendredi 10 juillet 2009

J moins tout le reste

Comme tous les ans depuis vingt ans, c’est le premier jour.
Qui, forcement, n’est pas le premier.

Le premier jour, cela veut dire, entre autres, que les affiches en quatre couleurs fluos dessinées par Michel Quarez s’étalent sur des colonnes Morris, sur des drapeaux, sur des mâts, dans la rue, dans le métro, par centaines. Que près de 70 000 tracts annonçant les spectacles vont passer de main de main.
Que 100 000 programmes ont été imprimés et
25 000 envoyés.

Qu’on s’apprête à donner 132 représentations dans 33 lieux différents, du Palais Royal au mail de Champigny, du parc de Belleville au musée du quai Branly, en passant par les arènes de Lutèce, le square des Amandiers, l’église Saint-Eustache. Soit 47 spectacles, soit 233 artistes – chanteurs, danseurs, acteurs, acrobates, musiciens –, venus de New York, de Saint-Jacques de la Lande, de Tel-Aviv, de Johannesburg, de Séville, d’Anvers, de La Havane. Donc qu’on a repéré des lieux, coordonné des chambres d’hôtel et des billets d’avion, prévu puis changé des dates, eu des déceptions, des sueurs froides, des petits triomphes.


Que les vingt agents d’accueil ont été eux-mêmes accueillis, jeudi dernier, dans les bureaux du festival. Que cette année, ils seront sapés comme des milords, avec des vêtements prêtés par Coming Soon, déclinaison urbaine et chic de Yohji Yamamoto.
Élégance légère assortie d’une lourde responsabilité : ce beau linge, qui doit être rendu nickel, est à laver à froid et avec d’infinies précautions. Le prix moyen de chaque tenue correspond à peu près à 50 heures du salaire d’un agent d’accueil. À ce tarif, tout le monde flippe un peu des pantalons blancs – inquiétude finalement dissipée dans l’effervescence des essayages.



Le premier jour, cela veut dire aussi qu’à peine débarqués de leur avion, les New-Yorkais Dean Wareham et Britta Phillips sont allés hier faire la balance du son quatre heures plus tôt que prévu, peut-être pour mieux profiter de Paris le 14 juillet.
Que pour leur spectacle 13 Most Beautiful Songs for Andy Warhol’s Screen Tests, on a installé ce matin 200 mètres carrés de tapis d’Orient à l’église Saint Eustache. Tapis qu’il a fallu trouver en catastrophe après qu’un premier prestataire a fait faux-bond peu avant le spectacle. Finalement loués – à un prix compassionnel – par Félix Nataf, à mille miles de la mauvaise réputation faite aux marchands de tapis. Étalant par terre ses trésors, il conseille de patchworker les kilims avec quelques gabbeh aux couleurs vives “parce que si c’est pour du Warhol, il faut que ça flashe. Mais surtout, faites comme vous voulez. Ces tapis viennent d’Afghanistan, d’Iran, de pays où la liberté est souvent malmenée, alors sentez-vous libres de les utiliser comme bon vous semble.”

Que pendant qu’on posait les tapis, Robyn Orlin et les dix chanteurs de la chorale des Phuphuma Love Minus répétaient Imfihlakalo Yezulu, concert-promenade dans les jardins du musée du quai Branly.

Que leur spectacle commence à 16 h, et qu’on a les yeux tournés vers le ciel et la veille météo au bout du fil. Prévisions pour le moment : 25 degrés, éclaircies, vent soufflant sud-ouest à 17km/heure.

Que demain les dix joueurs de tavoul et les dix joueurs de zourna des Bohèmes de Thrace seront au Luxembourg, que le cirque va entrer en piste à la Cité Internationale, et que la “boîte de jour” nomade des Cocktail designers fera escale à Vitry.

C’est le premier jour : tout est fait et rien n’est joué.